Préface d’Alain HERIL
« Chère Anne-Catherine,
C’est sous la forme d’une lettre que je décide d’écrire cette préface. Une missive écrite par un homme vers une femme.Je viens de terminer la lecture de ton livre et je cherche ici à témoigner de mon émotion.
Ecrire une préface n’est pas simple. Que faut-il dire ? Résumer le livre ? Ce serait alors un avant-propos ? Parler de soi ? N’est-ce pas prendre le lecteur en otage et lui imposer un récit qu’il n’est pas venu chercher !Je n’ai pas la réponse à ces questions. Ce que je sais c’est qu’avec les lectrices et les lecteurs de ton livre, j’ai envie de partager mon trouble et mes ressentis.
Je reçois ton livre comme un cri de femme. Comme une demande, une supplication. Tu dis que « l’amour ne peut mourir dans un cœur fait pour lui » et cela est une pensée forte car, au-delà du constat terrible de ce que nous sommes devenus nous, les êtres humains, tu donnes à penser qu’un avenir meilleur est possible. Je ressens comme un appel à une vigilance, une intelligence qui pourrait nous permettre de retrouver ces liens qui nous unissent au plus profond et qui nous permettraient de trouver et retrouver une humanité profonde. En actes et en pensée.
Ton fil conducteur est Fleur d’Epine, la Belle au bois dormant. Elle est comme le symbole d’une attente, ton attente, ton espoir. Et il est étonnant de voir comment moi, un homme, à la lecture de tes lignes je me suis senti, aussi, en attente, en espoir. Cela me fait penser à l’histoire des « Suppliantes » du grand Eschyle.
Il s’agit des cinquante filles de Danaos, poursuivies par leurs cinquante cousins, les fils de leur oncle Egyptos qui veut les marier de force. Pour y échapper elles se sont enfuies d’Egypte pour se réfugier à Argos, pays de leur aïeule, Io, qui, aimée de Zeus et poursuivie par la jalousie d’Héra, s’était enfin arrêtée en Egypte où elle avait eu du dieu, Epaphos, ancêtre des rois d’Egypte. Le roi averti de leur arrivée vient les interroger. Elles lui font reconnaître leur origine et leur parenté avec les Argos et lui demandent sa protection. Il hésite à l’accorder dans la crainte d’avoir à soutenir une guerre avec les fils d’Egyptos, mais elles invoquent avec insistance leurs droits de l’hospitalité et le roi, après avoir consulté son peuple, se décide à les défendre.
Si je te raconte cette histoire, ici, dans ma préface c’est parce qu’elle me semble exemplaire de la situation des femmes toujours poursuivies, harcelées par le désir unilatéral des hommes et qu’elle pose de façon claire l’opposition entre la raison rassurante (ne pas accueillir les Suppliantes) et le sentiment et l’humanité (les recevoir au risque d’une guerre).
Il est, me semble-t-il, aussi question de cela dans « Le paradoxe d’Eve ». De cette demande d’écoute, de prise en charge de la douleur universelle des femmes constamment bafouées dans leurs corps et l’expression de leur sexualité.
Cette attente que tu qualifies de silence et d’exil intérieur tu la magnifies par un retournement fécond. Cette Belle au bois dormant peut être perçue comme en sommeil mais aussi en tant qu’initiatrice qui oblige l’homme à la patience, la réflexion et la découverte de sa sensibilité.
Ton livre est profondément empreint de la pensée de Carl Gustav Jung. Pour le freudien ouvert que j’essaye d’être c’est une belle leçon car tu donnes aux concepts jungiens une dynamique puissante. Le féminin n’est pas l’anima et le masculin n’est pas l’animus. Les choses sont plus complexes que cela et il ne nous suffit pas d’accepter les contraires pour se sentir éveillés. C’est par cette conjonction des opposés que réclamait le grand psychanalyste suisse allemand que le parcours peut s’ouvrir.
Aller au-delà des apparences.
Construire un rapport au monde hors des oppositions.
Mettre de la Vie là où la Mort triomphe. Affirmer Eros contre Thanatos (pour revenir, quand même, à une terminologie freudienne !).
Tu es une femme et tu veux porter cet espoir donné à nos contemporains. Tu dis : «choisissons d’être des messagères de bonnes nouvelles, des conductrices de force et ainsi mener à bien la mission qui nous a été confiée : transmettre la vie».
Je crois que la bonne nouvelle c’est que ton livre existe et qu’il peut donner des voies précises pour sortir des bourbiers où s’enfoncent, inexorablement, notre civilisation.
Tu fais l’alliance féconde d’une écriture gorgée de poésie, de conte, de philosophie, de psychologie. Cela aussi est une bonne nouvelle ! Enfin nous pouvons lire des livres comme le tien où les cloisonnements peuvent voler en éclats et donner à travers une parole de psychothérapeute, une approche du monde intégrative et énergique.
In fine, lorsque je te lis je ressens ma place d’homme questionnée. Je sais que c’est l’Humanité qui doit se réveiller mais c’est aussi l’homme que je suis qui doit accepter de questionner la place qu’il occupe dans l’organisation sociale (patriarcale, judéo-chrétienne, capitaliste, machiste…) afin d’orienter la réflexion vers plus de justice et d’équité. Et c’est une bonne chose en tant qu’homme que de se sentir interpelé sur ces terrains-là. Le chemin paraît rude et risqué et c’est ce qui en fait le prix et l’élégance.
En fait, j’ai comme une envie de remercier, à travers toi, les femmes de nous pousser à nous remettre en question. C’est à ce prix que le monde (et non pas seulement la relation de couple) pourra changer et enfin muter vers son meilleur devenir.
Et bien sûr comment pourrais-je ne pas te remercier directement d’écrire ce que tu écris avec tant de fougue et d’innocence mêlées. Tant de professionnalisme et de générosité associés. Tant d’amour et de compréhension joints.
Et je voudrais faire miennes des paroles tiennes : « Je te salue, Femme. Mon amour t’accompagne et se réjouit de ta Majesté bientôt retrouvée ». Puissent les femmes qui poseront leur attention sur tes feuillets comprendre que cette majesté est à portée de regard. Puissent les hommes qui te liront saisir qu’il est beaucoup plus préférable et puissant de quitter l’habit du bourreau pour devenir le frère, l’ami, le Prince.
Je souhaite à ton livre tout le respect et le succès qu’il mérite !
Alain Héril – Psychanalyste , sexothérapeute
Livre disponible sur le site de l’éditeur