J’ai eu le bonheur de préfacer l’excellent livre de Martine Magnin, qui, j’en suis sûre, vous aidera à faire la paix avec vos mères. Lisez-le, offrez-le, à vos mères, vos soeurs, vos amis, et, pourquoi pas, à vos enfants!

« Je me souviens de ce vieux Monsieur, R.B, qui, de son fauteuil de psychanalyste, alors que j’étais encore novice dans ce métier, me déclara, sur le ton de la confidence : « Chère amie, souvenez-vous : les patients viendront vous parler de leur père, qui était absent, froid, distant, démissionnaire, violent, alcoolique, égoïste, infidèle, etc… laissez-les parler, écoutez-les. Cela durera quelques mois. Et puis, vous verrez, un moment, ils se mettront à parler de leur mère. C’est là que le vrai travail commencera. Le problème, c’est toujours la mère. N’oubliez jamais cela. »

J’étais assez impressionnée, mais quelque peu dubitative. Tout le monde sait que les psychanalystes accusent toujours les mères ! Cela me semblait un peu trop catégorique, assez borné somme toute. Je décidai de me souvenir qu’il avait forcément tort.

Puis, 20 ans plus tard, et quelques centaines de patients après, hommes, femmes, enfants, j’ai nuancé mon jugement. Après avoir exercé comme psychopraticienne, psychanalyste, en m’intéressant en particulier aux mémoires prénatales et à la psychogénéalogie, je conviens que nos mères nous collent à la peau. C’est normal : durant neuf mois, nous avons senti, goûté, évolué dans un bain hormonal que nous partagions avec elles. Et cette imprégnation a évidemment laissé des traces. Et ne croyez pas qu’être adopté simplifie les choses ! Non. Nous venons du ventre d’une mère, et cet habitacle a contribué à définir notre premier rapport au monde. Couper le cordon, en totalité, définitivement ? Je n’y crois pas. Tout au plus pouvons-nous conscientiser au maximum de quelles influences nous sommes porteurs.

Et c’est là que le livre de Martine Magnin est remarquable : Avec l’infinie tendresse et l’humour qui caractérisent chacun de ses écrits, Martine Magnin nous entraîne à la rencontre de certains spécimens assez redoutables. Mais à la lecture de chacun de ses portraits, nous comprenons pas à pas que ces femmes ont fait ce qu’elles ont pu, avec leurs limites et leurs fragilités.

Alcool, folie, froideur extrême, maltraitances, viols, indépendance poussée au paroxysme, obsession de la beauté, de la jeunesse, de la perfection, dépression, psychose, veuvage, culpabilité, abandons, fugues, infidélité, signalements aux services sociaux, fusion, immaturité, tyrannie, harcèlement, légèreté, inconséquence, anorexie, rejet, brimades, absence… voici ces mères, victimes et coupables, prisonnières malgré elles de leur histoire, de leurs névroses, de leurs manques d’amour.

Mais faut-il leur pardonner pour autant ? Je crois que là n’est pas la question. Ce qu’il nous faut, c’est comprendre : comprendre leur histoire, leurs rêves secrets, leurs pensées, leurs déviances. Et le livre que vous tenez entre leurs mains réussit le tour de force de leur donner la parole en nous les rendant parfois sympathiques.

Ces mères parfois haïssables, voire criminelles, qui, pourtant, nous ont fait le cadeau inestimable de la vie.

« J’ai fait un enfant, je suis une maman, c’est merveilleux. » , dit celle-là, comme si tout était déjà accompli. Mais non, le reste, ce sont les enfants qui l’accomplissent. C’est nous, c’est vous, c’est toi, c’est moi.

Je ne peux m’empêcher, en rédigeant cette préface, de fredonner la chanson de William Sheller, Maman est folle :

Maman est folle
On n’y peut rien
Mais c’qui nous console
C’est qu’elle nous aime bien
Quand elle s’envole
On lui tient la main
Comme un ballon frivole
Au gré du vent qui vient

Tais-toi Léopold
Surtout ne dis rien
Les gens dans leurs cache-col
N’y comprendraient rien

Auteurs-compositeurs : WILLIAM SHELLER
© WARNER CHAPPELL MUSIC France

Mères, nous vous aimons souvent. Nous vous haïssons parfois. Mais, toujours, à un moment, vous nous avez manqué. Nous avons pleuré votre absence, votre dureté, les abandons affectifs, voire pire, que vous nous avez infligés. Défusionner est le travail de toute une vie. Et plus nous ouvrirons les yeux sur qui vous êtes, plus nous parviendrons à nous différencier de vous. A exister, en dehors et sans vous. A tenir debout, puisque vous nous avez lâché la main. Mais nous voulons savoir pourquoi. Nous voulons découvrir qui vous êtes. Apprendre que vous existez en-dehors de nous. Pour pouvoir enfin exister sans vous.

Nous retrouvons dans ces pages l’empreinte de Martine Magnin : son engagement pour la vérité. Sa capacité subtile à dénoncer, raconter, montrer ce qu’on devrait taire. Sans jugement ni parti pris, mais avec la lucidité implacable de celles et ceux qui connaissent le prix du silence et celui, encore plus inestimable, de la liberté. Un thème central dans son ouvrage « Le confort de l’autruche », que je vous invite à découvrir dès que vous aurez achevé celui-ci.

Car il faut dire, redire, et lire ce livre.

Il faut oser regarder qui nous sommes, d’où nous venons, pour pouvoir assainir et fertiliser nos racines. Devenir une bonne mère pour nous-même, que nous soyons homme ou femme. A chaque instant de notre vie nous avons le pouvoir de nous recréer. Et c’est à cela que nous invite cet ouvrage.

Contempler l’étendue des souffrances de nos enfances, mais aussi la maladresse, les failles de nos mamans, vivantes ou mortes, et leur humanité parfois si bancale et pourtant pleine de bonne volonté.

Faisons la paix avec notre histoire. Et, si nous sommes mères à notre tour, n’oublions pas que chaque jour nous offre une occasion de mieux aimer, de mieux comprendre, de mieux accompagner nos enfants.

Et ceux des autres. Car dans nos mémoires il y a aussi des tatas, des grands-mères, des amies, des enseignants, mais aussi des hommes, papas, tontons, enseignants etc…   qui ont réparé, par leur présence bienveillante, ce que nos mères avait manqué. Martine Magnin, en plus d’être un écrivain de talent, fait partie de ceux-là.

Je souhaite à son ouvrage audacieux et impertinent tout le succès qu’il mérite. »

 

Anne-Catherine Sabas, Psychanalyste, formatrice

Auteure de « Triomphez des manipulateurs » , éditions Bussière,  et « Familles monoparentales, la grande aventure », Editions Michalon